Il existe deux types de coureur d’ultra-trail : celui qui part avec son meilleur ami et qui forme avec lui un duo solidaire dans les bons moments comme dans les difficultés, et le trailer solitaire qui vit la course comme un défi pour se connaître mieux soi même. Ce dernier type de coureur, sûrement le plus fréquent, sait se mettre dans sa bulle pour enchaîner les kilomètres qui le relient à la ligne d’arrivée. Et pourtant il ne sera pas seul tout au long de sa course. Il apprendra à connaître différents compagnons, des inconnus avec lesquels un lien fort pourra se créer, le temps de parcourir quelques kilomètres ou pour plusieurs heures. Ce compagnon éphémère l’accompagnera sur différents temps forts de la course.
Avant le départ
Lorsqu’il est temps de se placer derrière la ligne de départ, à quelques minutes du lancement d’un ultra-trail, il est impossible de ne pas sentir monter une petite pointe de stress. Seul au départ de son aventure, un trailer ne l’est jamais vraiment. Même sans parole, un simple regard permet de comprendre et partager cet état de tension avec ses semblables. Beaucoup de visages sont fermés, concentrés et pourtant, ils nous apportent du soutien. Nous ne serons pas seuls dans cette aventure, des compagnons partageront nos souffrances, nos peines, mais aussi nos joies de réussir à se surpasser. Nous ne connaissons personne autour de nous, et pourtant dans quelques minutes, quand le coup de feu sera donné, un lien sera créé. Courir un ultra-trail, ou une course en général, est aussi une occasion de vivre un moment de partage avec les autres coureurs.
Sur la première partie de course, quand tout va encore bien
Après le départ, il est temps de rentrer dans sa bulle. De longues heures de course nous attendent. Les premières dizaines de kilomètres doivent être gérées tranquillement. Il faut faire en sorte que la fatigue arrive le plus tardivement possible. On peut compter sur nos mois d’entraînement pour cela. Il est alors temps de laisser s’échapper son esprit, de lâcher prise sur le temps qui passe. Alors quoi de mieux que de lancer une discussion avec les coureurs autour de nous, dont le rythme commence à être identique au notre. As-tu déjà couru ce trail ? Quelles courses as-tu fait cette année ? Quel champion va gagner devant, et en combien de temps ? Alors que nous sommes encore en forme, il est facile de lancer une discussion avec des personnes que l’on ne connaît pas sur un sujet que l’on sait être un centre d’intérêt commun. Et c’est parti, un groupe se forme, quelques échanges ont lieu, qui permettent de ne pas penser au temps qui passe, aux kilomètres qui défilent, au dénivelé que l’on avale. Ce lien ne résistera sans doute pas à la prochaine descente technique ou au prochain ravitaillement, mais ce n’est pas grave, il y a tout pleins d’autres compagnons à se faire.
Lors des difficultés de la nuit
Lorsque le temps passe, le peloton s’étire. Alors, même sur les très grosses courses, il est possible de se retrouver isolé. Cet isolement, il faut à tout prix essayer de l’éviter dans la situation suivante : lors d’une montée, de nuit, quand le sommeil devient trop important. Cela arrive souvent sur la 2e nuit d’un ultra-trail. Il est alors important de réussir à former des petits groupes pour attaquer ensemble les difficultés. Souvent, lors d’un ravitaillement, les groupes se forment au moment de partir. Ces compagnons constitueront pendant quelques heures, pour le temps d’une ascension, une caravane solidaire. Il n’est alors plus temps de savoir si le rythme est trop lent ou pas, en dehors du coureur de tête, les autres compagnons peuvent simplement copier le geste et la cadence de la personne de devant. L’esprit n’a plus besoin de penser au mouvement du corps. Il devient automatique, presque inconscient. Attention alors à ne pas s’endormir : la chute pourrait vite arriver. Des discussions s’engagent souvent pour se tenir éveillé. Ainsi, un lien fort se met à exister avec ses compagnons du moment, dont, pour la plupart, nous ne verrons même pas le visage mais juste l’arrière des chaussures.
Pendant une période difficile
Lorsqu’on est en difficulté, et qu’une douleur, un coup de mou ou une fatigue extrême nous oblige à nous arrêter et à nous assoir, même temporairement, au bord du chemin, chaque coureur qui passe nous demandera si ça va ou nous lancera une phrase réconfortante. La solidarité des trailers se met en place. Chacun sait que quelques kilomètres plus loin, il peut se retrouver dans cette situation. Il est alors facile de s’identifier au coureur en difficulté, et de vouloir l’aider pour réaliser son rêve de finir la course. Il n’y a à ce moment-là aucun adversaire à part nous-même, mais uniquement des compagnons que nous voulons voir, comme nous, réussir. Tous seront d’ailleurs prêts à sacrifier une partie de leur course pour venir en aide à un autre coureur blessé ou en perdition. C’est ça aussi le véritable esprit trail.
À l’arrivée
Les quelques derniers kilomètres, et encore plus les quelques dernières centaines de mètres libèrent un tel concentré de joie qu’il est impossible de le garder pour soi. La célébration avec les trailers qui nous entourent, pourtant complètement inconnus, devient si naturelle. La joie peut être de différents niveaux selon l’expérience des coureurs, mais l’envie du partage reste la même. Ceci est d’autant plus vrai que l’on arrive avec des personnes qu’on imagine avoir vécu une expérience très proche de la notre puisqu’on termine la course dans le même temps. Ces compagnons éphémères seront nos compagnons de victoire.
La solitude n’existe donc pas tout le long d’un ultra-trail. Il faut même savoir utiliser la force de ses compagnons du moment pour pouvoir avancer. Des liens forts peuvent se créer pour quelques heures. Pourtant, la plupart du temps, on n’aura aucune idée de comment s’est terminé la course de ces autres coureurs. Je garde en tête des dizaines de rencontres, et j’en ai certainement oublié des dizaines d’autres. Mais voilà, pour moi, ce que peuvent être ces compagnons éphémères d’un temps de course !
Merci pour l’article Olivier.
Même si pour ma part je n’ai jamais couru d’ultra (et je ne sais pas si l’aventure me tente…), il m’arrive souvent d’échanger avec les coureurs autour de moi lors d’une grosse côte ou un passage plus difficile. Partager la difficulté par un geste, une parole (moi, je râle souvent, je l’avoue…) permet d’avancer et de se dépasser au final.
Effectivement, tous les formats de course ou de trail se prêtent à ce type de rencontre éphémère. Elles ne sont pas forcément aussi forte que pendant un ultra-trail, mais peuvent être un véritable moteur.